JEAN YVES RUELLOUX - LA LACTATION CONTINUE


Jean-Yves Ruelloux, 68 ans, chevrier depuis 1978 mène son troupeau en lactation longue à Priziac dans le Morbihan depuis plus de 15 ans. Il partage sa vie avec ses 19 chèvres, ses 4 poules, son âne et ses 3 chiens. Le bien-être animal est au centre de ses préoccupations. Chaque jour, il emmène ses chèvres au sein de ses 28 hectares de terre composées de prairies et de forêt. Dès que besoin, il déplace le parc pour les laisser paître chaque jour dans de la bonne herbe.

Après avoir entendu parler de la lactation continue, Jean-Yves change progressivement sa façon de procéder en testant la pratique qui propose de nombreux avantages pour les chèvres et pour lui. Il trait ses chèvres à la main chaque matin et chaque soir, sans interruption dans l'année contrairement aux élevages conventionnels. Ses chèvres produisent en moyenne 450 litres de lait par an. Selon lui, ce qui joue sur la production du lait, c'est la qualité de l'alimentation et donc la richesse de l'herbe.
Jean-Yves ne souhaitait plus envoyer de chèvres ou de chevreaux qui n'ont de toute façon pas de valeur économique à l'abattoir. Avec cette méthode de traite sans interruption, il n'y a pas de chevreaux à naître avec la souffrance pour les chèvres de subir une gestation et une mise bas chaque année. Et, contrairement aux élevages conventionnelles où les chèvres sont généralement envoyées à l'abattoir à l'âge de 4 ans, Jean-Yves choisit lui de les garder toutes leurs vies.
Depuis 2005, il n'y a pas eu de saillie sur son troupeau sauf pour les nouvelles chevrettes. Les chèvres sont en lactation continue jusqu'à environ leur 12 ans en ayant mis bas qu'une seule fois dans leur vie. La lactation continue entraîne une grande diminution des soins et frais vétérinaire qui gravitent généralement autour des naissances.
Jean-Yves trouve également son troupeau plus serein grâce à la présence de chèvres plus vieilles mélangées aux plus jeunes. En juin 2023, son troupeau se compose de 19 chèvres avec 11,5 chèvres qui donnent quotidiennement du lait dont cinq ayant entre 12 et 14 ans. D'autres sont encore trop jeunes pour produire et d'autres sont «en retraite». Il est devenu évident pour lui d'offrir un cadre paisible à ses vieilles chèvres pour leur fin de vie, en les gardant simplement quelques années de plus jusqu'à leur mort naturelle. Son rapport à l'animal, à la vie et à la vieillesse a changé. «Tu ne fais pas de la production, tu vis» explique-t-il. Pour lui, sa ferme est une grande communauté de vivants en interactions positives.

Avec ce lait, Jean-Yves fabrique des fromages qu'il vend 2,80 euros sur les marchés de Port Louis et de Rostrenen, même l'hiver. Il vit de la production de ses fromages qui lui permettent de se dégager un smic mensuel, sans avoir eu recours à des demandes de subventions. Sa force est d'avoir peu de charges, peu d'investissements et peu de dépenses. Son matériel est vieux et depuis longtemps rentabilisé, il ne possède pas de machine à traire et ne cherche pas à produire plus.

La lactation longue est peu connue en France, peu démocratisée. Suite au reportage d'Inès Léraud sur cette ferme dans l'émission «Les pieds sur terre» de France Culture en 2019, Jean-Yves Ruelloux a partagé son savoir sur son troupeau et la lactation continue avec plus de 180 personnes. Nombreuses sont venues sur place en stage pour découvrir sa pratique. Il inspire aussi d'autres éleveurs qui changent eux aussi leur façon de travailler et d'autres corps de métiers comme un anthropologue, qui a fait un mémoire sur sa ferme et prépare maintenant une thèse sur le sujet. Avant cette émission, Jean-Yves envisageait d'arrêter de travailler, en partie à cause de soucis de santé au dos. Mais par la suite, fort de ces belles rencontres et son moral reboosté, il a racheté 3 chèvres qui elles-mêmes ont eu des petits et continue son aventure.

En tant que passionné par le vivant, l'agroforesterie est une pratique qui lui tient aussi beaucoup à c?ur. Sur ses terres se trouve une forêt qu'il a planté au fur et à mesure, composée de nombreuses essences d'arbres. Rien que les premières années après son arrivée à Priziac, il a planté pas moins de 7000 arbres. Il s'occupe des arbres, de la plantation à l'élagage en grande partie lui-même. Au pied de séquoias plantés il y a 6 ans, grouillent plein d'insectes. Il m'explique avoir envie de prendre le temps lorsqu'il sera à la retraite, de passer des jours à observer et analyser le sol pour découvrir la biodiversité qui le compose.